poèmes
    

Alphonse de Lamartine
sa vie, son oeuvre

Un poème au hasard


 
Le soir

Le soir ramène le silence.
Assis sur ces rochers déserts,
Je suis dans le vague des airs
Le char de la nuit qui s'avance.

Vénus se lève à l'horizon;
À mes pieds l'étoile amoureuse
De sa lueur mystérieuse
Blanchit les tapis de gazon.

De ce hêtre au feuillage sombre
J'entends frissonner les rameaux :
On dirait autour des tombeaux
Qu'on entend voltiger une ombre.

Tout à coup détaché des cieux,
Un rayon de l'astre nocturne,
Glissant sur mon front taciturne,
Vient mollement toucher mes yeux.

Doux reflet d'un globe de flamme,
Charmant rayon, que me veux-tu?
Viens-tu dans mon sein abattu
Porter la lumière à mon âme?

Descends-tu pour me révéler
Des mondes le divin mystère?
Ces secrets cachés dans la sphère
Où le jour va te rappeler?

Une secrète intelligence
T'adresse-t-elle aux malheureux?
Viens-tu la nuit briller sur eux
Comme un rayon de l'espérance?

Viens-tu dévoiler l'avenir
Au cœur fatigué qui t'implore?
Rayon divin, es-tu l'aurore
Du jour qui ne doit pas finir?

Mon cœur à ta clarté s'enflamme,
Je sens des transports inconnus,
Je songe à ceux qui ne sont plus :
Douce lumière, es-tu leur âme?

Peut-être ces mânes heureux
Glissent ainsi sur le bocage?
Enveloppé de leur image,
Je crois me sentir plus près d'eux !

Ah ! si c'est vous, ombres chéries !
Loin de la foule et loin du bruit,
Revenez ainsi chaque nuit
Vous mêler à mes rêveries.

Ramenez la paix et l'amour
Au sein de mon âme épuisée,
Comme la nocturne rosée
Qui tombe après les feux du jour.

Venez !... mais des vapeurs funèbres
Montent des bords de l'horizon :
Elles voilent le doux rayon,
Et tout rentre dans les ténèbres.

....................................
Commentaire :
J'avais perdu depuis quelques mois, par la mort, l'objet de l'enthousiasme et de l'amour de ma jeunesse. J'étais venu m'ensevelir dans la solitude chez un de mes oncles, l'abbé de Lamartine, au château d'Ursy, dans les montagnes les plus boisés et les plus sauvages de la haute Bourgogne. J'écrivis ces strophes dans les bois qui entourent ce château, semblable à une vaste et magnifique abbaye. Mon oncle, homme excellent, retiré du monde depuis la Révolution, vivait en solitaire dans cette demeure. Il avait été dans sa jeunesse un abbé de cour, dans l'esprit et dans la dissipation du cardinal de Bernis. La Révolution l'avait enchaîné et proscrit. Il l'aimait cependant, parce qu'elle lui avait permis d'abandonner sans scandale le sacerdoce, auquel sa famille l'avait contraint et auquel sa nature répugnait. Il s'était consacré à l'agriculture. Il cultivait ses vastes champs, soignait ses forêts, élevait ses troupeaux. Il m'aimait comme un père. Il me donnait asile toutes les fois que les pénuries ou les lassitudes de la jeunesse me saisissaient. Sa maison était mon port de refuge: j'y passais des saisons entières, tête à tête avec lui. Sa bibliothèque savante et littéraire me nourrissait l'esprit, ses bois couvraient mes rêveries, mes tristesses, mes contemplations errantes; sa gaieté tendre, sereine et douce, me consolait de mes peines de cœur. Il planait philosophiquement sur toutes choses, comme s'il n'eût plus appartenu à la vie que par le regard. En mourant, il me légua son château et ses bois. Ils ont passé en d'autres mains. Mes souvenirs les habitent souvent, et cherchent sa tombe pour y couvrir sa mémoire de mes bénédictions.

Méditations poétiques

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