Les Bois détruits
Jai vu des nobles fils de nos forêts superbes
Les grands troncs abattus dispersés dans les herbes,
Et de lhomme en ces lieux jai reconnu les pas.
Renversant de ses mains luvre des mains divines,
Partout sur son passage il sème et les ruines
Et lincendie et le trépas.
Que de jours ont passé sur ces monts, que dannées
Pour voiler de fraîcheur leurs cimes couronnées
Darbres aux troncs dairain, aux feuillages mouvants !
Sil faut, hélas ! au temps des siècles pour produire,
A lhomme un jour suffit pour abattre et détruire
Luvre séculaire des ans.
Sur ces sommets boisés quun souffle tiède embaume,
Ma muse, blonde enfant qui naquit sous le chaume,
Vers des cieux bleus et clairs essaya son essor ;
Et butinant leur miel aux fleurs de Salazie,
Elle errait et cueillait sa fraîche poésie,
Légère abeille aux ailes dor.
Peut-être avant le jour où ma tête blanchie
Penchera vers le sol, pesante et réfléchie,
Revenant à ces lieux demander leurs abris,
Je reverrai des monts sans verdure et sans ombres,
Et, pleurant en secret nos solitudes sombres,
Je gémirai sur leurs débris.
Je veux fermer mon cur aux douloureux présages
O gigantesques monts où dorment les nuages,
De vos arbres sur nous balancez les arceaux !
Défendant vos beaux flancs des haches meurtrières,
Que notre main conserve à vos têtes altières
Leurs chevelures de rameaux !
Et vous, doux habitants de ces lieux solitaires,
Hommes simples et purs, aux murs hospitalières,
Respectez-les, ces bois quont respectés les ans !
Laissez sous leur verdure et leurs ombres profondes
Errer les couples blancs, jouer les têtes blondes
Des colombes et des enfants.
Joignez à larbre fier de sa haute stature
Lhumble arbuste où loiseau trouve sa nourriture ;
Aux marges du torrent qui bouillonne argenté,
Laissez rougir la fraise et la framboise éclore ;
Que la pêche y suspende au soleil et colore
Son fruit au duvet velouté.
Que la brise, agitant vos touffes de jam-roses,
Épanche autour de vous la douce odeur des roses ;
Que leur dôme embaumé sincline sur les eaux ;
Sous leur voûte cachez vos maisonnettes blanches,
Comme on voit, suspendus dans lépaisseur des branches,
Les nids ombragés des oiseaux.
Restez sourds aux conseils dune avide opulence ;
De sagesse et damour vivez dans le silence.
Le trésor le plus pur vient de la paix des curs.
Mais chassez létranger de vos bois centenaires,
Car il profanerait de ses mains mercenaires
Vos forêts vierges et vos murs !
Salaziennes, 1835