poèmes
    

Auguste Lacaussade
sa vie, son oeuvre

Un poème au hasard


 
Les Bois détruits

J’ai vu des nobles fils de nos forêts superbes

Les grands troncs abattus dispersés dans les herbes,
Et de l’homme en ces lieux j’ai reconnu les pas.
Renversant de ses mains l’œuvre des mains divines,
Partout sur son passage il sème et les ruines
Et l’incendie et le trépas.

Que de jours ont passé sur ces monts, que d’années
Pour voiler de fraîcheur leurs cimes couronnées
D’arbres aux troncs d’airain, aux feuillages mouvants !
S’il faut, hélas ! au temps des siècles pour produire,
A l’homme un jour suffit pour abattre et détruire
L’œuvre séculaire des ans.

Sur ces sommets boisés qu’un souffle tiède embaume,
Ma muse, blonde enfant qui naquit sous le chaume,
Vers des cieux bleus et clairs essaya son essor ;
Et butinant leur miel aux fleurs de Salazie,
Elle errait et cueillait sa fraîche poésie,
Légère abeille aux ailes d’or.

Peut-être avant le jour où ma tête blanchie
Penchera vers le sol, pesante et réfléchie,
Revenant à ces lieux demander leurs abris,
Je reverrai des monts sans verdure et sans ombres,
Et, pleurant en secret nos solitudes sombres,
Je gémirai sur leurs débris.

Je veux fermer mon cœur aux douloureux présages…
O gigantesques monts où dorment les nuages,
De vos arbres sur nous balancez les arceaux !
Défendant vos beaux flancs des haches meurtrières,
Que notre main conserve à vos têtes altières
Leurs chevelures de rameaux !

Et vous, doux habitants de ces lieux solitaires,
Hommes simples et purs, aux mœurs hospitalières,
Respectez-les, ces bois qu’ont respectés les ans !
Laissez sous leur verdure et leurs ombres profondes
Errer les couples blancs, jouer les têtes blondes
Des colombes et des enfants.

Joignez à l’arbre fier de sa haute stature
L’humble arbuste où l’oiseau trouve sa nourriture ;
Aux marges du torrent qui bouillonne argenté,
Laissez rougir la fraise et la framboise éclore ;
Que la pêche y suspende au soleil et colore
Son fruit au duvet velouté.

Que la brise, agitant vos touffes de jam-roses,
Épanche autour de vous la douce odeur des roses ;
Que leur dôme embaumé s’incline sur les eaux ;
Sous leur voûte cachez vos maisonnettes blanches,
Comme on voit, suspendus dans l’épaisseur des branches,
Les nids ombragés des oiseaux.

Restez sourds aux conseils d’une avide opulence ;
De sagesse et d’amour vivez dans le silence.
Le trésor le plus pur vient de la paix des cœurs.
Mais chassez l’étranger de vos bois centenaires,
Car il profanerait de ses mains mercenaires
Vos forêts vierges et vos mœurs !

Salaziennes, 1835

 

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