poèmes
    

Edgar Poe
sa vie, son oeuvre

Un poème au hasard


 
Al Aaraaf

PREMIERE PARTIE
O, rien de terrestre sinon le rayonnement
(Réfléchi par les fleurs) de l'oeil de la beauté,
Comme dans ces jardins où le jour
Jaillit des gemmes de Circassie.
O, rien de terrestre sinon le frémissement
Des mélodies d'un ruisseau dans les bois,
Ou (musique des coeurs passionnés)
Les accents de la joie qui s'est enfuie, si paisiblement
Que, comme le murmure qui sourd d'un coquillage,
Son écho demeure et demeurera.
O, rien de ces scories qui sont les nôtres!
Et pourtant, toute la beauté, toutes les fleurs
Qui plaisent à notre amour et parent nos tonnelles,
Décorent ce inonde lointain, lointain,
Cette étoile errante.

C'était une douce époque pour Nésace, car là
Son royaume s'étendait, nonchalant, sur l'air doré,
Près de quatre soleils étincelants, hâvre éphémère, 
Oasis au désert des bienheureux.
Au loin, au loin, parmi des mers de rayons qui roulent
Une splendeur empyréenne sur l'âme délivrée,
Ame qui peut à peine (tant les lames sont denses)
S'efforcer d'atteindre à son éminence assignée.
De temps à autre Nésace volait vers des sphères lointaines,
Et vint récemment visiter la nôtre que Dieu a distinguée.
Mais, maintenant, souveraine d'un royaume ancré,
Elle jette au loin son sceptre, abandonne la barre
Et, parmi les encens et la solennité des hymnes spirituels,
Elle baigne dans la lumière quadruple ses membres angéliques.
Désormais, la plus heureuse, la plus charmante sur cette Terre charmante,
Où naquit " L'Idée de Beauté ",
(Tombant en guirlandes parmi les étoiles surprises,
Comme une chevelure de femme parmi les perles, jusqu'à ce q'au loin,
Elle se posât sur les collines achéennes et y demeurât),
Elle plongea le regard dans l'Infini, et se mit à genoux.
De somptueux nuages en guise de dais s'enroulaient au-dessus d'elle
Justes emblèmes du modèle de son monde,
Perçus en la seule beauté, ne contrariant pas la vue
De la beauté autre qui scintille à travers la lumière,
Guirlande qui enlaçait chaque forme étoilée
Et liait tout l'air opalin dans la couleur.

En toute hâte elle s'agenouilla sur un lit
De fleurs; de lis pareils à ceux qui dressaient la tête
Sur le beau Cap Deucate et jaillissaient
Si impétueusement alentour pour s'attacher
Aux pas agiles, orgueil profond !
De celle qui aima un mortel et en mourut.
La Séphalique, bourgeonnante de jeunes abeilles,
Hissait à ses genoux sa tige pourpre :
Et ce joyau, la fleur mal nommée de Trébizonde,
Compagne des étoiles les plus hautes, où, jadis,
Elle faisait pâlir tout autre charme : sa rosée de miel,
(Le nectar fabuleux connu des païens)
Douce jusqu'au délire, s’égoutta du Ciel
Et tomba sur les jardins de ceux que n'avait point touché le pardon
A Trébizonde, et sur une fleur de soleil,
Si semblable à la sienne, là-haut, qu'à cette heure
Elle demeure, torturant l'abeille
De folie et des rêveries insolites :
Au ciel, et dans ses environs, la feuille
Et la fleur dans la plante féerique, inconsolées,
S'attardent dans le chagrin, chagrin qui courbe sa tête,
Repentir de folies depuis longtemps enfuies,
Offrant sa blanche poitrine à l'air embaumé,
Comme la beauté coupable, châtiée, mais plus belle :
La nyctanthe aussi, sacrée comme la lumière
Qu'elle craint de parfumer en parfumant la nuit :
Et la clytie pensive entre maints soleils,
Des larmes de colère roulant sur ses pétales :
Et cette fleur ambitieuse qui jaillit sur Terre
Et mourut, à peine venue à la vie,
Faisant éclater son coeur odorant pour s'envoler, en esprit,
Du jardin d'un roi, vers le ciel :
Et le lotus valisnérien dont le vol s'est achevé là,
Au sortir de sa lutte avec les eaux du Rhône :
Et ton parfum pourpre, suprême enchantement, O, Zante!
Isota d'oro ! Fior di Levante !
Et le bouton de nélumbe qui flotte à tout jamais
Avec le Cupidon indien au fil du fleuve sacré
Belle fleurs, fleurs féeriques ! à qui est confié le soin
De porter aux cieux, sous forme de parfums, le chant de la Déesse :
" Esprit qui demeure là
Où, dans le ciel profond,
Le terrible et le beau
Rivalisent de beauté !
Au-delà de la ligne bleutée.
La frontière de l'étoile
Qui se détourne, à la vue
De ta barrière et de ta barre,
De la barrière franchie
Par les comètes qui furent chassées
De leur orgueil et de leur trône,
Pour être à tout jamais serviles
Pour porter le feu
(Le rouge feu de leur coeur),
Vouées à une vitesse immuable
Et à une douleur pérenne
Esprit qui vis, cela nous le savons,
Dans l'Eternité, nous le sentons,
Mais, l'ombre de ton front,
Quel esprit la révélera ?
Quoique les créatures que ta Nésace,
Ta messagère, a connues,
Aient rêvé pour ton infinité
Un modèle à leur mesure,
Ta volonté est faite, oh, Dieu !
L'étoile a parcouru le ciel, là-haut,
A travers maintes tempêtes, mais elle se déplaçait
Sous ton oeil de feu ;
Ici, c'est à toi, en pensée
Pensée qui, seule,
Peut gravir ton empire et
Partager ton trône ;
C'est à toi, par la Fantaisie allée,
Que mon ambassade est donnée,
Jusqu'à ce que le secret devienne connaissance
Dans les environs du Ciel. "
Elle se tut et, confuse, enfouit alors sa joue brûlante
Dans les lis, pour y chercher
Abri contre la ferveur de Son oeil ;
Car les étoiles tremblaient devant la Divinité.
Elle était immobile; elle retenait son souffle car une voie
O combien solennelle, emplissait l'air calme !
Un son du silence, à l'oreille surprise,
Que les poètes rêveurs nomment " la musique des sphères " !
Notre monde est un monde de mots : nous appelons le calme
" Silence ", qui est le mot le plus simple de tous.
Toute la Nature parle, et même les choses idéales
Font jaillir des sons ténébreux de leurs ailes visionnaires
Mais ah ! il n'en est pas de même, lorsqu'ainsi, aux royaumes d'en haut,
Passe l'éternelle voix de Dieu,
Et que les vents rouges se flétrissent dans le Ciel !

" Bien que tu appartiennes à des mondes qui parcourent des cycles invisibles,
Liés à un pauvre système et à un seul soleil
Où tout amour de moi est folie et où la foule
Pense encore que mes terreurs ne sont que nuage de foudre,
Orage, tremblement de terre et fureur de l'Océan
(Ah ! m'affronteront-ils en mon pire courroux ?)
Bien que tu appartiennes à des mondes qui n'ont qu'un seul soleil
Où les sables du Temps s'assombrissent en s'écoulant,
Tienne, cependant, est ma splendeur, que je t'ai donnée
Pour porter mes secrets à travers le Ciel supérieur.
Laisse ta maison de cristal inhabitée et vole,
Avec toute ta suite, à travers le ciel lunaire.
Dispersez-vous, comme les lucioles dans la nuit sicilienne,
Et va porter sur tes ailes, à des mondes autres, une lumière autre!
Divulgue les secrets de ton ambassade
Aux astres orgueilleux qui scintillent, et sois ainsi,
Pour chaque coeur, barrière et interdit,
De peur que les étoiles ne chancellent sous la culpabilité de l'homme ! "
La vierge se leva dans la nuit blonde,
Dans le soir éclairé par une seule lune ! Sur terre nous donnons
Notre foi à un seul amour, nous adorons une seule lune,
Le lieu de naissance de la jeune Beauté n'en avait pas davantage.
Au moment où l'étoile blonde jaillissait des heures duveteuses,
La vierge se leva de son sanctuaire de fleurs,
Elle s'engagea dans la montagne miroitante et la sombre plaine
Mais sans quitter encore son royaume théraséen.

DEUXIEME PARTIE

Tout en haut d'une montagne couronnée d'émail
Pareille à celle que le berger somnolant, reposant à l'aise
Sur sa couche de géant pâturage,
Levant sa lourde paupière, tressaille de voir,
Murmurant maintes fois son " espoir de pardon ",
A l'heure où la lune est déjà quadrate dans le ciel
Tout ai haut d'une montagne au front rose qui, se dressant au loin
Dans l'éther baigné de soleil, a retenu,
Le soir, le rayon des soleils noyés, au minuit,
Tandis que la lune dansait avec la belle clarté plus étrange, 
Se dressait, sur cette hauteur, un édifice
Aux colonnes resplendissantes sur l'air allégé,
Dont le marbre parien reflétait ce sourire jumeau
Jusqu'à la vague qui étincelait là-bas,
Et nourrissait la jeune montagne dans son gîte.
D'étoiles fondues était leur base, comme celles qui tombent
Dans l'air d'ébène, semant d'argent le poêle mortuaire
De leur propre dissolution, tandis qu'elles agonisent,
Ornant alors les demeures du ciel.
Un dôme, descendu du ciel par des liens de lumière,
Faisait à ces colonnes une couronne légère.
Une fenêtre ronde taillée dans un seul diamant,
Ouvrait, là-haut, sur l'air pourpre,
Et des rayons issus de Dieu fulguraient du haut en bas de cette chaîne de météores,
Sanctifiant deux fois encore cette Beauté,
Sauf lorsque, entre l'Empyrée et cet anneau,
Quelque esprit ardent faisait battre son aile crépusculaire.
Mais sur les piliers, des yeux de Séraphin ont vu
L'obscurité de ce monde : ce vert grisâtre,
Que la Nature choisit pour la tombe de la Beauté,
Se cachait dans chaque corniche, autour de chaque architrave
Et chaque chérubin sculpté,
Qui guettait de sa demeure de marbre,
Paraissait terrestre dans l'ombre de sa niche
Statues achéennes dans un monde si riche?
Frises de Tadmor et de Persépolis
De Balbek et du tranquille et clair abîme
De la belle Gomorrhe! Oh, la vague
Est sur toi maintenant, mais trop tard pour te sauver !

Le son aime à se réjouir dans une nuit d'été :
Témoin le murmure du crépuscule gris
Qui, jadis, en Eyraco, se glissa jusqu'à l'oreille
De maint contemplateur d'étoiles, éperdu,
Et se glisse encore jusqu'à l'oreille de
Qui, dans sa rêverie, contemple les lointains obscurcis,
Et voit les ténèbres monter comme un nuage.
La forme, la voix des ténèbres, ne sont-elles pas des plus palpables et des plus fortes ?
Mais qu'est ceci ? Cela vient et apporte
Avec soi une musique, c'est un bruissement d'ailes,
Une pause, puis l'élan et la chute d'une harmonie,
Et voici Nésace à nouveau dans son palais.
La farouche énergie d'une hâte éperdue
A empourpré ses joues et entrouvert ses lèvres;
La ceinture qui enserrait son aimable taille
Avait cédé sous la pression de son coeur en émoi.
Au centre du palais, pour reprendre son souffle
Elle s'arrêta, O Zanthe, haletante, au sein
D'une lumière féerique qui baisait ses cheveux d'or
Et y éclatait malgré son désir d'y seulement reposer !

Cette nuit-là les jeunes fleurs chuchotaient leur mélodie
Aux fleurs heureuses, et les arbres aux arbres;
Les fontaines versaient de la musique en retombant
Dans maint bois éclairé par les étoiles et maint vallon baigné de lune;
Et pourtant le silence descendait sur les choses matérielles,
Sur les belles fleurs, les cascades étincelantes et les ailes d'ange,
Seul le son qui de l'esprit jaillissait
Accompagnait le charme que chantait la jeune fille :
" Sous la campanule ou la guirlande,
Sous les touffes de ramille sauvage
Qui abritent le rêveur
Du rayon de la lune,
Etre de lumière ! qui méditez,
Les yeux mi-clos,
Sur les étoiles que votre étonnement
A tirées des cieux,
Jusqu'à ce qu'elles percent l'ombre, et
Descendent sur votre front
Comme les yeux de la jeune fille
Qui maintenant vous appelle,
Levez-vous ! arrachez-vous à vos rêves
Dans les nids de violettes ! 
Au devoir consacrez, comme il se doit,
Ces heures éclairées par les étoiles.
Secouez de vos tresses
Alourdies par la rosée
Le souffle de ces baisers
Qui les alourdissent aussi
(Ah ! comment, sans toi, Amour !
Les anges pourraient-ils être bienheureux ?)
Ces baisers de l'amour vrai
Qui vous ont bercés et endormis !
Debout ! secouez de vos ailes
Tout ce qui les entrave :
La rosée de la nuit ;
Elle appesantirait votre vol ;
Et les caresses du véritable amour ;
Ah ! il faut les abandonner !
Légères sur la chevelure,
Elles sont de plomb pour le coeur.

Ligeia ! Ligeia !
Ma belle Ligeia !
Dont l'idée la plus discordante
Se résout en mélodie,
Ah, ta volonté est-elle
D'être portée par les brises ?
O, capricieusement immobile,
Comme le solitaire albatros ,
Posée sur la nuit
(Comme lui sur l'air)
De veiller, ravie,
Sur l'harmonie qui est là-bas?
Ligeia ! où que soit
Ton image,
Aucune magie ne séparera jamais
Ta musique de toi.
Tu as fermé bien des yeux
Sur un sommeil riche de rêves,
Mais les chants s'élèvent encore
Sous ta seule vigilance.
Le bruit de la pluie
Qui, d'un bond, choit sur la fleur,
Et danse encore,
Au rythme de l'ondée,
Le murmure qui s'élève
De la croissance de l'herbe
Sont la musique des choses.
Mais hélas, ce ne sont qu'imitations !
Va ! ma chérie,
Va donc, hâte-toi !
Vers les sources très claires qui reposent
Sous e rayon de la lune,
Vers le lac solitaire qui sourit,
Dans son rêve de repos profond,
Aux innombrables îles-étoiles
Qui parent son sein de joyaux,
Là ou les fleurs sauvages, qui rampent,
Ont mêlé leur ombre.
Sur le bord du lac dorment
Maintes jeunes filles,
Quelques-unes ont quitté la fraîche clairière, et
Se sont endormies avec l'abeille
Eveille-les, ma mie, par les landes et les prés.
Va ! exhale sur leur sommeil,
Tout doucement à leur oreille,
La mélodie
Qu'elles attendaient de leur sommeil.
En vérité, qu'est-ce qui peut éveiller un ange
Qui s'est assoupi
Sous la froide lune, mieux
Que cet enchantement, aucun sommeil,
Fût-elle maléfice, ne peut le vaincre,
Cette mélodie rythmique
Qui l'a bercé et endormi ? "
Esprits doués d'ailes, et anges en apparence,
Mille séraphins jaillirent à travers l'Empyrée,
Jeunes rêves planant, tout somnolents encore,
Séraphins en tout sauf en " Savoir ", cette lumière pénétrante,
Tombait, réfractée au loin par tes frontières,
O Mort ! de l'oeil de Dieu sur cette étoile :
Douce était cette erreur, plus douce encore cette mort
Douce était cette erreur, même parmi nous, l'haleine
De la Science ternit le miroir de notre joie.
Pour eux, ce serait un Simoun destructeur
Car de quelle utilité leur est-il (à eux) de savoir
Que la Vérité est Fausseté ou la Félicité, Malheur ?
Douce était leur mort; mourir pour eux était riche
De l'extase dernière d'une vie assouvie.
Nulle immortalité par-delà cette mort,
Mais un sommeil méditatif et qui n'est pas " être "
En ce lieu, ah! puisse mon esprit lassé y séjourner
Hors de l'Éternité du Ciel, et cependant si loin de l'Enfer !
Quel esprit coupable, en quel sombre bosquet,
N'a pas entendu les appels émouvants de cet hymne ?
Deux seulement; ils ont chu : car le Ciel n'accorde nulle grâce
A ceux que le battement de leur coeur rend sourds.
Une vierge angélique et un séraphin, son amant.
Oh! en quel lieu (vous pouvez explorer les vastes cieux)
L'Amour, cet aveugle, fut-il jamais vu aux côtés du sobre Devoir?
L'Amour sans guide a chu, parmi " les larmes d'une plainte parfaite ".
C'était un esprit bon, celui qui chut:
Il errait auprès du puits drapé de mousse,
Il contemplait les lumières qui brillent là-haut,
Il rêvait sous le rayon de la lune auprès de son amour.
Faut-il s'en étonner? Car chaque étoile là-bas est comme un oeil
Et pose un regard si doux sur les cheveux de la Beauté,
 Et ces étoiles, et chaque source moussue, étaient sacrées
Pour son coeur hanté d'amour et sa mélancolie.
La nuit avait trouvé (nuit de malheur pour lui),
Sur une roche de la montagne, le jeune Angelo,
 La ligne oblique de la roche barre le ciel solennel ;
Elle menace les mondes étoilés qu'elle domine.
C'est là qu'il se tenait, avec son amour,
 son oeil sombre tourné,
Avec un regard d'aigle, sur le firmament :
Un instant il porte son regard sur elle, mais, toujours
Tremblant, il est ramené à l'orbe de la TERRE.

" Ianthe, très chère Ianthe, regarde ! Comme ce rayon est faible !
N'est-il pas enchanteur de plonger aussi loin le regard ?
La Terre paraissait autre, ce soir d'automne
Où j'ai quitté ses palais somptueux, sans pleurer mon départ.
Ce soir, ce soir-là, comment ne point m'en souvenir ?
A Lemnos, le rayon du soleil tombait, comme un charme magique,
Sur les arabesques gravées d'une salle dorée
Où je me tenais, et sur les draperies aux murs ;
Et sur mes paupières, 
oh, la pesante lumière !
De quel poids elle les entraîna, engourdies, dans la nuit !
A mon regard jadis, s'offraient les fleurs et la brume et l'amour,
En compagnie de Saadi, le Persan, dans son Gulistan :
Mais, ah, cette lumière ! - Je m'assoupis. La Mort, cependant,
Envahit mes sens dans cette île enchanteresse,
Si doucement que nul cheveu soyeux
Ne s'éveilla ; ou sut qu'elle était là.

Le dernier endroit de l'orbe terrestre que je foulai
Etait un temple altier appelé le Parthénon.
Plus de Beauté s'attachait à ses murs et à ses colonnes
Que n'en recèle même ton sein brûlant.
Et quand le vieux Temps délia mon aile
C'est de là que je m'élançai, comme l'aigle de sa tour,
Et en une heure, je laissai des années derrière moi.
Dans le temps que je passais sur ses limites aériennes,
Une moitié du jardin de son globe fut déroulé
Sous mes yeux comme une carte
Jusqu'aux cités inhabitées du désert !
Ianthe, la Beauté m'assaillit alors,
Et je désirai à demi être à nouveau de la race des hommes. "

" Mon Angelo ! pourquoi être l'un d'entre eux ?
Tu trouves id une demeure plus brillante,
Des champs plus verts que dans ce monde là-haut,
Et les enchantements d'une femme, et l'amour passionné. "

" Mais, écoute, ô Ianthe ! Quand l'air si doux
Fit défaut, tandis que mon esprit ailé s'envolait,
Mon cerveau, peut-être, fut pris de vertige, mais le monde
Que je venais de quitter fut précipité dans le chaos.
Il jaillit de sa place, dispersé aux vents,
Et roula, comme une flamme, à travers les Cieux embrasés.
Il me parut, mon aimée, que je cessai alors de voler,
Que je tombais, non point du mouvement rapide par lequel je m'élevais naguère,
Mais par saccades à travers
La lumière et ses rayons d'airain, vers cette étoile d'or !
Brève fut la mesure de mes heures de chute,
Car de toutes les étoiles, la plus proche de la nôtre était la tienne.
Terrible étoile ! elle vint, par une nuit d'allégresse,
Daedalion rouge sur la Terre effarouchée.

Oui, nous vînmes jusqu'à ta Terre, mais ce n 'est pas à nous
Qu'il appartient de discuter les commandements de notre dame.
Nous vînmes, mon amour : tout autour, au-dessus, au-dessous,
Gaies lucioles de la nuit, nous allons et venons,
Sans demander la raison de rien, au-delà du salut angélique
Qu'Elle nous accorde, comme l'accorde son Dieu.
Mais Angelo, jamais le Temps chenu n'a déployé
Son aile féerique sur un monde plus féerique que le tien !
Sombre était son disque minuscule, et des yeux d'anges
Pouvaient seuls voir le fantôme dans les cieux,
Quand Al Aaraaf apprit que sa course la menait
Tout droit, au-dessus de la mer étoilée, vers ce monde.
Mais quand sa splendeur envahit le ciel,
Comme le buste ardent de la Beauté sous l'oeil de l'homme,
Nous fîmes halte devant l'héritage des hommes,
Et ton étoile frissonna, comme le fait alors la Beauté ! "

Ainsi, en paroles, les amants usèrent-ils la nuit.
La nuit qui pâlissait et pâlissait sans enfanter le jour.
Ils tombèrent : car le ciel n'accorde nul espoir
A ceux que le battement de leur coeur rend sourds.

                        
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