poèmes
    

Émile Verhaeren
sa vie, son oeuvre

Un poème au hasard


 
Le masque
la couronne formidable des rois
en s’appuyant de tout son poids
sur un masque de cire
semblait broyer, dans ce hall froid,
tout un empire.

Le pâle émail des yeux usés
s’était fendu en agonies
minuscules, mais infinies,
sous les sourcils martyrisés.

Le front avait été l’éclair,
avant que les pâles années
n’eussent rivé les destinées,
sur ce bloc mort de morne chair.

Les crins encore étaient ardents,
mais la colossale mâchoire,
mi-ouverte, laissait la gloire
tomber morte d’entre les dents.

Depuis des temps qu’on ne sait pas,
la couronne, violemment cruelle,
de sa poussée indiscontinuelle
ployait le chef toujours plus las.

Les astuces, les perfidies
louchaient en ses joyaux taillés,
et les meurtres, les sangs, les incendies
semblaient reluire entre ses ors caillés.

Elle écrasait et abattait
ce qui jadis était sa gloire :
le front géant qui la portait
et la dardait vers les victoires
et telle, accomplissait, sans bruit,
l’oeuvre, d’une force qui se détruit,
obstinément, soi-même,
et finit par se définir
pour l’avenir
dans un emblème.

Couronne et tête étaient placées,
couronne ardente et tête autoritaire,
en un logis de verre,
au fond d’un hall, dans un musée.

L’image apparaissait définitive.
Un vieux gardien, vêtu de noir,
veillait, obstinément, sans voir
que cette mort se consommait impérative
et présidait à la force toujours accrue
de la foule brassant sa vie et ses rumeurs
et ses clameurs et ses fureurs au fond des rues.


(Recueil :  Les Villes tentaculaires - 1895)

envoyez vos commentaires pas encore de commentaire
version à imprimer dans une nouvelle fenêtre





   ·   contact   ·  livre d'or · les arbres · European trees · voyages  · 1500chansons · Fables de Jean de La Fontaine · Les passions (récits)
Cette page a mis 0.01 s. à s'exécuter - Conception© 2006 - www.lespassions.fr