poèmes
    

Émile Verhaeren
sa vie, son oeuvre

Un poème au hasard


 
La recherche
Chambres claires, tours et laboratoires,
avec, sur leurs frises, les sphinx évocatoires
et vers le ciel, braqués, les télescopes d’or.

Blocs de lumière éclatés en trésors,
cristaux monumentaux et minéraux jaspés,
glaives de soleil vierge, en des prismes trempés,
creusets ardents, godets rouges, flammes fertiles,
où se transmuent les poussières subtiles ;
instruments nets et délicats,
ainsi que des insectes,
ressorts tendus et balances correctes,
cônes, segments, angles, carrés, compas,
sont là, vivant et respirant dans l’atmosphère
de lutte et de conquête autour de la matière.

C’est la maison de la science au loin dardée,
obstinément par à travers les faits jusqu’aux idées.

Dites ! Quels temps versés au gouffre des années,
et quelle angoisse ou quel espoir des destinées,
et quels cerveaux chargés de noble lassitude
a-t-il fallu pour faire un peu de certitude ?

Dites ! L’erreur plombant les fronts ; les bagnes
de la croyance où le savoir marchait au pas ;
dites ! Les premiers cris, là-haut, sur la montagne,
tués par les bruits sourds de la foule d’en bas.

Dites ! Les feux et les bûchers ; dites ! Les claies ;
les regards fous, en des visages d’effroi blanc ;
dites ! Les corps martyrisés, dites ! Les plaies
criant la vérité, avec leur bouche en sang.

C’est la maison de la science au loin dardée,
obstinément, par à travers les faits jusqu’aux idées.

Avec des yeux
méticuleux ou monstrueux,
on y surprend les croissances ou les désastres
s’échelonner, depuis l’atôme jusqu’à l’astre.

La vie y est fouillée, immense et solidaire,
en sa surface ou ses replis miraculeux,
comme la mer et ses gouffres houleux,
par le soleil et ses mains d’or myriadaires.

Chacun travaille, avec avidité,
méthodiquement lent, dans un effort d’ensemble ;
chacun dénoue un noeud, en la complexité
des problèmes qu’on y rassemble ;
et tous scrutent et regardent et prouvent,
tous ont raison-mais c’est un seul qui trouve !

Ah celui-là, dites ! De quels lointains de fête ;
il vient, plein de clarté et plein de jour,
dites ! Avec quelle flamme au coeur et quel amour
et quel espoir illuminant sa tête ;
dites ! Comme à l’avance et que de fois
il a senti vibrer et fermenter son être
du même rythme que la loi
qu’il définit et fait connaître.

Comme il est simple et clair devant les choses
et humble et attentif, lorsque la nuit
glisse le mot énigmatique en lui
et descelle ses lèvres closes ;
et comme en s’écoutant, brusquement, il atteint,
dans la forêt toujours plus fourmillante et verte,
la blanche et nue et vierge découverte
et la promulgue au monde ainsi que le destin.

Et quand d’autres, autant et plus que lui,
auront à leur lumière incendié la terre
et fait crier l’airain des portes du mystère,
-après combien de jours, combien de nuits,
combien de cris poussés vers le néant de tout,
combien de voeux défunts, de volontés à bout
et d’océans mauvais qui rejettent les sondes-
viendra l’instant, où tant d’efforts savant et
ingénus,
tant de génie et de cerveaux tendus vers l’inconnu,
quand même, auront bâti sur des bases profondes
et jaillissant au ciel, la synthèse des mondes !

C’est la maison de la science au loin dardée,
vers l’unité de toutes les idées.

(Recueil :  Les Villes tentaculaires - 1895)


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