poèmes
    

José Maria de Heredia
sa vie, son oeuvre

Un poème au hasard


 
Les Conquérants de l'or - III
Or, lorsqu'il toucha terre au port de San-Lucar,

Il retrouva l'Espagne en allégresse, car

L'Impératrice-Reine, en un jour très prospère,

Comblant les vœux du prince et les désirs du père,

Avait heureusement mis au monde l'Infant

Don Philippe - que Dieu conserve triomphant !

Et l'Empereur joyeux le fêtait dans Tolède.

Là, Pizarre, accouru pour implorer son aide,

Conta ses longs travaux et, ployant le genou,

Lui fit en bon sujet hommage du Pérou.

Puis ayant présenté, non sans quelque vergogne

D'offrir si peu, de l'or, des laines de vigogne

Et deux lamas vivants avec un alpaca,

Il exposa ses droits. Don Carlos remarqua

Ces moutons singuliers et de nouvelle espèce

Dont la taille était haute et la toison épaisse ;

Même, il daigna peser entre ses doigts royaux,

Fort gracieusement, la lourdeur des joyaux ;

Mais quand il dut traiter l'objet de la demande,

Il répondit avec sa rudesse flamande :

Qu'il trouvait, à son gré, que le vaillant Marquis

Don Hernando Cortès avait assez conquis

En subjuguant le vaste empire des Aztèques ;

Et que lui-même ainsi que les saints Archevêques

Et le Conseil étaient fermement résolus

À ne rien entreprendre et ne protéger plus,

Dans ses possessions des mers occidentales,

Ceux qui s'entêteraient à ces courses fatales

Où s'abîma jadis Diego de Nicuessa.

Mais, à ce dernier mot, Pizarre se dressa

Et lui dit : Que c'était chose qui scandalise

Que d'ainsi rejeter du giron de l'Église,

Pour quelques onces d'or, autant d'infortunés,

Qui, dans l'idolâtrie et l'ignorance nés,

Ne demandaient, voués au céleste anathème,

Qu'à laver leurs péchés dans l'eau du saint baptême.

Ensuite il lui peignit en termes éloquents

La Cordillère énorme avec ses vieux volcans

D'où le feu souverain, qui fait trembler la terre

Et fondre le métal au creuset du cratère,

Précipite le flux brûlant des laves d'or

Que garde l'oiseau Rock qu'ils ont nommé condor.

Il lui dit la nature enrichissant la fable ;

D'innombrables torrents qui roulent dans leur sable

Des pierres d'émeraude en guise de galets ;

La chicha fermentant aux celliers des palais

Dans des vases d'or pur pareils aux vastes jarres

Où l'on conserve l'huile au fond des Alpujarres ;

Les temples du Soleil couvrant tout le pays,

Revêtus d'or, bordés de leurs champs de maïs

Dont les épis sont d'or aussi bien que la tige

Et que broutent, miracle à donner le vertige

Et fait pour rendre même un Empereur pensif,

Des moutons d'or avec leurs bergers d'or massif.



Ce discours étonna Don Carlos, et l'Altesse,

Daignant enfin peser avec la petitesse

Des secours implorés l'honneur du résultat,

Voulut que sans tarder Don François répétât,

Par-devant Nosseigneurs du Grand Conseil, ses offres

De dilater l'Église et de remplir les coffres.

Après quoi, lui passant l'habit de chevalier

De Saint-Jacque, il lui mit au cou son bon collier.

Et Pizarre jura sur les saintes reliques

Qu'il resterait fidèle aux rois Très-Catholiques,

Et qu'il demeurerait le plus ferme soutien

De l'Église Romaine et du beau nom chrétien.

Puis l'Empereur dicta les augustes cédules

Qui faisaient assavoir, même aux plus incrédules,

Que, sauf les droits anciens des hoirs de l'Amiral,

Don François Pizarro, lieutenant général

De Son Altesse, était sans conteste et sans terme

Seigneur de tous pays, îles et terre ferme,

Qu'il avait découverts ou qu'il découvrirait.

La minute étant lue et quand l'acte fut prêt

À recevoir les seings au bas des protocoles,

Pizarre, ayant jadis peu hanté les écoles,

Car en Estremadure il gardait les pourceaux,

Sur le vélin royal d'où pendaient les grands sceaux

Fit sa croix, déclarant ne savoir pas écrire,

Mais d'un ton si hautain que nul ne put en rire.

Enfin, sur un carreau brodé, le bâton d'or

Qui distingue l'Alcade et l'Alguazil Mayor

Lui fut remis par Juan de Fonseca. La chose

Ainsi dûment réglée et sa patente close,

L'Adelantade, avant de reprendre la mer,

Et bien qu'il n'en gardât qu'un souvenir amer,

Visita ses parents dans Truxillo, leur ville,

Puis, joyeux, s'embarqua du havre de Séville

Avec les trois vaisseaux qu'il avait nolisés.

Il reconnut Gomère, et les vents alizés,

Gonflant d'un souffle frais leur voilure plus ronde,

Entraînèrent ses nefs sur la route du monde

Qui fit l'Espagne grande et Colomb immortel.



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