poèmes
    

José Maria de Heredia
sa vie, son oeuvre

Un poème au hasard


 
Les Conquérants de l'or - V
Au nombre de cent six marchaient les gens de pied.

L'histoire a dédaigné ces braves, mais il sied

De nommer par leur nom, qu'il soit noble ou vulgaire,

Tous ceux qui furent chefs en cette illustre guerre

Et de dire la race et le poil des chevaux,

Ne pouvant, au récit de leurs communs travaux,

Ranger en même lieu que des bêtes de somme

Ces vaillants serviteurs de tout bon gentilhomme.



Voici. Soixante et deux cavaliers hidalgos

Chevauchent, par le sang et la bravoure égaux,

Autour des plis d'azur de la royale enseigne

Où près du château d'or le pal de gueules saigne

Et que brandit, suivant le chroniqueur Xerez,

Le fougueux Gabriel de Rojas, l'alferez,

Dont le pourpoint de cuir brodé de cannetilles

Est gaufré du royal écu des deux Castilles,

Et qui porte à sa toque en velours d'Aragon

Un saint Michel d'argent terrassant le dragon.

Sa main ferme retient ce fameux cheval pie

Qui s'illustra depuis sous Carbajal l'Impie ;

Cet andalou de race arabe, et mal dompté,

Qui mâche en se cabrant son mors ensanglanté

Et de son dur sabot fait jaillir l'étincelle,

Peut dépasser, ayant son cavalier en selle,

Le trait le plus vibrant que saurait décocher

Du nerf le mieux tendu le plus vaillant archer.



À l'entour de l'enseigne en bon ordre se groupe,

Poudroyant au soleil, tout le gros de la troupe :

C'est Juan de la Torre ; Christobal Peralta,

Dont la devise est fière : Ad summum per alta ;

Le borgne Domingo de Serra-Luce ; Alonze

De Molina, très brun sous son casque de bronze ;

Et François de Cuellar, gentilhomme andalous,

Qui chassait les Indiens comme on force des loups ;

Et Mena qui, parmi les seigneurs de Valence,

Était en haut renom pour manier la lance.

Ils s'alignent, réglant le pas de leurs chevaux

D'après le train suivi par leurs deux chefs rivaux,

Del Barco qui, fameux chercheur de terres neuves,

Avec Orellana descendit les grands fleuves,

Et Juan de Salcedo qui, fils d'un noble sang,

Quoique sans barbe encor, galope au premier rang.



Derrière, tous marris de marcher sur leurs pieds,

Viennent les démontés et les estropiés.

Juan Forès pique en vain d'un carreau d'arbalète

Un vieux rouan fourbu qui bronche et qui halète ;

Ribera l'accompagne, et laisse à l'abandon

Errer distraitement la bride et le bridon

Au col de son bai-brun qui boite d'un air morne,

S'étant, faute de fers, usé toute la corne.

Avec ces pauvres gens marche don Pèdre Alcon,

Lequel en son écu porte d'or au faucon

De sable, grilleté, chaperonné de gueules ;

Ce vieux seigneur jadis avait tourné les meules

Dans Grenade, du temps qu'il était prisonnier

Des mécréants. Ce fout un bon pertuisanier.



Sous cette brave escorte, au trot de leurs deux mules

Fort pacifiquement s'en font les deux émules :

Requelme, le premier, comme tout bon Contador,

Reste silencieux, car le silence est d'or ;

Quant au licencié Gil Tellez, le Notaire,

Il dresse en son esprit le futur inventaire,

Tout prêt à prélever, au taux juste et légal,

La part des Cavaliers, après le Quint Royal.



Or, quelques fourrageurs restés sur les derrières,

Pour rejoindre leurs rangs, malgré les fondrières,

À leurs chevaux lancés ayant rendu la main,

Et bravant le vertige et brûlant le chemin,

Par la montagne à pic descendaient ventre à terre.

Leur galop furieux fait un bruit de tonnerre.

Les voici : bride aux dents, le sang aux éperons,

Dans la foule effarée, au milieu des jurons,

Du tumulte, des cris, des appels à l'Alcade,

Ils débouchent. Le chef de cette cavalcade,

Qui, d'aspect arrogant et vêtu de brocart,

Tandis que son cheval fait un terrible écart,

Salue Alvar de Paz qui devant lui se range,

En balayant la terre avec sa plume orange,

N'est autre que Fernan, l'aîné, le plus hautain

Des Pizarre, suivi de Juan, et de Martin

Qu'on dit d'Alcantara, leur frère par le ventre.

Briceño qui, depuis, se fit clerc et fut chantre

À Lima, n'étant pas très habile écuyer,

Dans cette course folle a perdu l'étrier,

Et, voyant ses amis déjà loin, se dépêche

Et pique sa jument couleur de fleur de pêche.

Le brave Antonio galope à son côté ;

Il porte avec orgueil sa noble pauvreté,

Car, s'il a pour tout bien l'épée et la rondache,

Son cimier héraldique est ceint de feuilles d'ache

Qui couronnent l'écu des ducs de Carrion.



Ils passent, soulevant un poudreux tourbillon.



À leurs cris, un seigneur, de ceux de l'avant-garde,

S'arrête, et, retournant son cheval, les regarde.

Il monte un genet blanc dont le caparaçon

Est rouge, et pour mieux voir se penche sur l'arçon.

C'est le futur vainqueur de Popayan. Sa taille

Est faite pour vêtir le harnois de bataille.

Beau comme un Galaor et fier comme un César,

Il marche en tête, ayant pour nom Benalcazar.

Près d'Oreste voici venir le bon Pylade :

Très basané, le chef coiffé de la salade,

Il rêve, enveloppé dans son large manteau ;

C'est le vaillant soldat Hernando de Soto

Qui, rude explorateur de la zone torride,

Découvrira plus tard l'éclatante Floride

Et le père des eaux, le vieux Meschacébé.

Cet autre qui, casqué d'un morion bombé,

Boucle au cuir du jambard la lourde pertuisane

En flattant de la voix sa jument alezane,

C'est l'aventurier grec Pedro de Candia,

Lequel ayant brûlé dix villes, dédia,

Pour expier ces feux, dix lampes à la Vierge.

Il regarde, au sommet dangereux de la berge,

Caracoler l'ardent Gonzalo Pizarro,

Qui depuis, à Lima, par la main du bourreau,

Ainsi que Carbajal, eut la tête branchée

Sur le gibet, après qu'elle eut été tranchée

Aux yeux des Cavaliers qui, séduits par son nom,

Dans Cuzco révolté haussèrent son pennon.

Mais lui, bien qu'à son roi déloyal et rebelle,

Étant bon hidalgo, fit une mort très belle.



À quelques pas, l'épée et le rosaire au flanc,

Portant sur les longs plis de son vêtement blanc

Un scapulaire noir par-dessus le cilice

Dont il meurtrit sa chair et dompte sa malice,

Chevauche saintement l'ennemi des faux dieux,

Le très savant et très miséricordieux

Moine dominicain fray Vincent de Valverde

Qui, tremblant qu'à jamais leur âme ne se perde

Et pour l'éternité ne brûle dans l'Enfer,

Fit périr des milliers de païens par le fer

Et les auto-da-fés et la hache et la corde,

Confiant que Jésus, en sa miséricorde,

Doux rémunérateur de son pieux dessein,

Recevrait ces martyrs ignorants dans son sein.



Enfin, les précédant de dix longueurs de vare,

Et le premier de tous, marche François Pizarre.



Sa cape, dont le vent a dérangé les plis,

Laisse entrevoir la cotte et les brassards polis ;

Car, seul parmi ces gens, pourtant de forte race,

Qui tous avaient quitté l'acier pour la cuirasse

De coton, il gardait, sous l'ardeur du Cancer,

Sans en paraître las, son vêtement de fer.



Son barbe cordouan, rétif, faisait des voltes

Et hennissait ; et lui, châtiant ces révoltes,

Laissait parfois sonner contre ses flancs trop prompts

Les molettes d'argent de ses lourds éperons,

Mais sans plus s'émouvoir qu'un cavalier de pierre,

Immobile, et dardant de sa sombre paupière

L'insoutenable éclat de ses yeux de gerfaut.



Son cœur aussi portait l'armure sans défaut

Qui sied aux conquérants, et, simple capitaine,

Il caressait déjà dans son âme hautaine

L'espoir vertigineux de faire, tôt ou tard,

Un manteau d'Empereur des langes du bâtard.



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