poèmes
    

José Maria de Heredia
sa vie, son oeuvre

Un poème au hasard


 
Hortorum deus
I



Olim truncus eram ficulnus.

HORACE



A Paul Arène.



N'approche pas ! Va-t'en ! Passe au large, Étranger !

Insidieux pillard, tu voudrais, j'imagine,

Dérober les raisins, l'olive ou l'aubergine

Que le soleil mûrit à l'ombre du verger ?



J'y veille. A coups de serpe, autrefois, un berger

M'a taillé dans le tronc d'un dur figuier d'Égine ;

Ris du sculpteur, Passant, mais songe à l'origine

De Priape, et qu'il peut rudement se venger.



Jadis, cher aux marins, sur un bec de galère

Je me dressais, vermeil, joyeux de la colère

Écumante ou du rire éblouissant des flots ;



A présent, vil gardien de fruits et de salades,

Contre les maraudeurs je défends cet enclos...

Et je ne verrai plus les riantes Cyclades.



          II



Hujus nam domini colunt me Deumque salutant.

CATULLE.



Respecte, Ô Voyageur, si tu crains ma colère,

Cet humble toit de joncs tressés et de glaïeul.

Là, parmi ses enfants, vit un robuste aïeul ;

C'est le maître du clos et de la source claire.



Et c'est lui qui planta droit au milieu de l'aire

Mon emblème équarri dans un coeur de tilleul :

Il n'a point d'autres Dieux, aussi je garde seul

Le verger qu'il cultive et fleurit pour me plaire.



Ce sont de pauvres gens, rustiques et dévots.

Par eux, la violette et les sombres pavots

Ornent ma gaine avec les verts épis de l'orge



Et toujours, deux fois l'an, l'agreste autel a bu,

Sous le couteau sacré du colon qui l'égorge,

Le sang d'un jeune bouc impudique et barbu.



          III



Ecce villicus

Venit...

CATULLE



Holà, maudits enfants ! Gare au piège, à la trappe,

Au chien ! je ne veux plus, moi qui garde ce lieu,

Qu'on vienne, sous couleur d'y quérir un caïeu

D'ail, piller mes fruitiers et grappiller ma grappe.



D'ailleurs, là-bas, du fond des chaumes qu'il étrape,

Le colon vous épie, et, s'il vient, par mon pieu !

Vos reins sauront alors tout ce que pèse un Dieu

De bois dur emmanché d'un bras d'homme qui frappe.



Vite, prenez la sente à gauche, suivez-la

Jusqu'au bout de la haie où croît ce. hêtre, et là

Profitez de l'avis qu'on vous glisse à l'oreille



Un négligent Priape habite au clos voisin ;

D'ici, vous pouvez voir les piliers de sa treille

Où sous l'ombre du pampre a rougi le raisin.



          IV



Mihi corolla picta vere ponitur.

CATULLE



Entre donc. Mes piliers sont fraîchement crépis,

Et sous ma treille neuve où le soleil se glisse

L'ombre est plus douce. L'air embaume la mélisse.

Avril jonche la terre en fleur d'un frais tapis.



Les saisons tour à tour me parent : blonds épis

Raisins mûrs, verte olive ou printanier calice

Et le lait du matin caille encor sur l'éclisse,

Que la chèvre me tend la mamelle et le pis.



Le maître de ce clos m'honore. J'en suis digne.

Jamais grive ou larron ne marauda sa vigne

Et nul n'est mieux gardé de tout le Champ Romain.



Les fils sont beaux, la femme est vertueuse, et l'homme,

Chaque soir de marché, fait tinter dans sa main

Les deniers d'argent clair qu'il rapporte de Rome.



          V



Rigetque dura barba juncta crystallo.

Diversorum Poctarum Lusus.



Quel froid ! le givre brille aux derniers pampres verts ;

Je guette le soleil, car je sais l'heure exacte

Où l'aurore rougit les neiges du Soracte.

Le sort d'un Dieu champêtre est dur. L'homme est pervers.



Dans ce clos ruiné, seul, depuis vingt hivers

Je me morfonds. Ma barbe est hirsute et compacte,

Mon vermillon s'écaille et mon bois se rétracte

Et se gerce, et j'ai peur d'être piqué des vers.



Que ne suis-je un Pénate ou même simple Lare

Domestique, repeint, repu, toujours hilare,

Gorgé de miel, de fruits ou ceint des fleurs d'avril !



Près des aïeux de cire, au fond du vestibule,

Je vieillirais et les enfants, au jour viril,

A mon col vénéré viendraient pendre leur bulle.



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