poèmes
    

Alphonse de Lamartine
sa vie, son oeuvre

Un poème au hasard


 
Ode

Delicta majorum immeritus lues
HORAT., od. VI, lib. III.

Peuple ! des crimes de tes pères
Le Ciel punissant tes enfants,
De châtiments héréditaires
Accablera leurs descendants !
Jusqu'à ce qu'une main propice
Relève l'auguste édifice
Par qui la terre touche aux cieux,
Et que le zèle et la prière
Dissipent l'indigne poussière
Qui couvre l'image des dieux !

Sortez de vos débris antiques,
Temples que pleurait Israël;
Relevez-vous, sacrés portiques;
Lévites, montez à l'autel !
Aux sons des harpes de Solime,
Que la renaissante victime
S'immole sous vos chastes mains !
Et qu'avec les pleurs de la terre
Son sang éteigne le tonnerre
Qui gronde encor sur les humains !

Plein d'une superbe folie,
Ce peuple au front audacieux
S'est dit un jour : "Dieu m'humilie;
Soyons à nous-mêmes nos dieux.
Notre intelligence sublime
À sondé le ciel et l'abîme
Pour y chercher ce grand esprit !
Mais ni dans les flancs de la terre,
Mais ni dans les feux de la sphère,
Son nom pour nous ne fut écrit.

"Déjà nous enseignons au monde
À briser le sceptre des rois;
Déjà notre audace profonde
Se rit du joug usé des lois.
Secouez, malheureux esclaves,
Secouez d'indignes entraves.
Rentrez dans votre liberté !
Mortel ! du jour où tu respires,
Ta loi, c'est ce que tu désires;
Ton devoir, c'est la volupté !

"Ta pensée a franchi l'espace,
Tes calculs précèdent les temps,
La foudre cède à ton audace,
Les cieux roulent tes chars flottants;
Comme un feu que tout alimente,
Ta raison, sans cesse croissante,
S'étendra sur l'immensité !
Et ta puissance, qu'elle assure,
n'aura de terme et de mesure
Que l'espace et l'éternité.

"Heureux nos fils ! heureux cet âge
Qui, fécondé par nos leçons,
Viendra recueillir l'héritage
Des dogmes que nous lui laissons !
Pourquoi les jalouses années
Bornent-elles nos destinées
À de si rapides instants?
Ô loi trop injuste et trop dure !
Pour triompher de la nature
Que nous a-t-il manqué? le temps."

Eh bien ! le temps sur vos poussières
À peine encore a fait un pas !
Sortez, ô mânes de nos pères,
Sortez de la nuit du trépas !
Venez contempler votre ouvrage !
Venez partager de cet âge
La gloire et la félicité !
Ô race en promesses féconde,
Paraissez ! bienfaiteurs du monde,
Voilà votre postérité !

Que vois-je? ils détournent la vue,
Et, se cachant sous leurs lambeaux,
Leur foule, de honte éperdue,
Fuit et rentre dans les tombeaux !
Non, non, restez, ombres coupables;
Auteurs de nos jours déplorables,
Restez ! ce supplice est trop doux.
Le Ciel, trop lent à vous poursuivre,
Devait vous condamner à vivre
Dans le siècle enfanté par vous !

Où sont-ils, ces jours où la France,
À la tête des nations,
Se levait comme un astre immense
Inondant tout de ses rayons?
Parmi nos siècles, siècle unique,
De quel cortège magnifique
La gloire composait ta cour !
Semblable au dieu qui nous éclaire,
Ta grandeur étonnait la terre,
Dont tes clartés étaient l'amour !

Toujours les siècles du génie
Sont donc les siècles des vertus !
Toujours les dieux de l'harmonie
Pour les héros sont descendus !
Près du trône qui les inspire,
Voyez-les déposer la lyre
Dans de pures et chastes mains,
Et les Racine et les Turenne
Enchaîner les grâces d'Athène
Au char triomphant des Romains !

Mais, ô déclin ! quel souffle aride
De notre âge a séché les fleurs?
Eh quoi ! le lourd compas d'Euclide
Etouffe nos arts enchanteurs !
Elans de l'âme et du génie !
Des calculs la froide manie
Chez nos pères vous remplaça :
Ils posèrent sur la nature
Le doigt glacé qui la mesure,
Et la nature se glaça !

Et toi, prêtresse de la terre,
Vierge du Pinde ou de Sion,
Tu fuis ce globe de matière,
Privé de ton dernier rayon !
Ton souffle divin se retire
De ces cœurs flétris, que la lyre
n'émeut plus de ses sons touchants !
Et pour son Dieu qui le contemple,
Sans toi l'univers est un temple
Qui n'a plus ni parfums ni chants !

Pleurons donc, enfants de nos pères !
Pleurons ! de deuil couvrons nos fronts !
Lavons dans nos larmes amères
Tant d'irréparables affronts !
Comme les fils d'Héliodore,
Rassemblons du soir à l'aurore
Les débris du temple abattu !
Et sous ces cendres criminelles
Cherchons encor les étincelles
Du génie et de la vertu !

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Commentaire :
Il ne faut pas chercher de philosophie dans les poésies d'un jeune homme de vingt ans. Cette méditation en est une preuve de plus. La poésie pense peu, à cet âge surtout; elle peint et elle chante. Cette méditation est une larme sur le passé. Je venais de lire le Génie du Christianisme, de M. de Chateaubriand; j'étais fanatisé des images dont ce livre, illustration de toutes les belles ruines, était étincelant. J'étais de l'opinion de René, de la religion d'Atala, de la foi du P. Aubry. De plus, j'avais eu toujours une indicible horreur du matérialisme, ce squelette de la création, exposé en dérision aux yeux de l'homme par des algébristes sur l'autel du néant, à la place de Dieu. Ces hommes me paraissaient et me paraissent encore aujourd'hui des aveugles-nés, des Oedipes du genre humain, niant l'énigme de Dieu parce qu'ils ne peuvent pas la déchiffrer. Enfin, j'étais né d'une famille royaliste qui avait gémi plus qu'aucune autre sur la chute du trône, sur la mort du vertueux et malheureux roi, sur les crimes de l'anarchie. J'eus un accès d'admiration pour tous les passés, une imprécation contre tous les démolisseurs des vieilles choses. Cet accès produisit ces vers et quelques autres: il ne fut pas très-long. Il se transforma par la réflexion en appréciation équitable des vices et des avantages propres à chaque nature de gouvernement, et en spiritualisme religieux plein de vénération pour toutes les fois sincères, et plein d'aspiration pour le rayonnement toujours croissant du nom divin sur la raison de l'homme.

Méditations poétiques

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