poèmes
    

Émile Nelligan
sa vie, son oeuvre

Un poème au hasard


 
Le Suicide d'Angel Valdor

I
Le vieil Angel Valdor épousait dans la nef,
En Avril, sa promise aux yeux noirs, au blond chef.
Le soleil harcelait de flèches empourprées
Le vitrail, ce miroir des Anges aux Vesprées.
Et, partout, l'on disait en les voyant ainsi
S'en aller triomphants, qu'ils vivraient sans souci,
Que leur maison serait comme un temple au dimanche
L'amour officiant dans sa chasuble blanche.
Le sonneur, en Avril, épousait dans la nef
Sa jeune fiancée aux yeux noirs, au blond chef.

II
Il eut pendant longtemps le coeur libre et joyeux
Et les roses d'hymen printanisaient ses yeux.
Il vécut des baisers trop menteurs d'une femme
Jusqu'aux jours où son coeur se prit de doute infâme.
Il demandait au ciel plus d'un gars à l'oeil brun
Qui le remplacerait quand il serait défunt,
Et ferait bourdonner du haut de leurs tours grandes
Les cloches qu'il sonnait comme nul dans les landes.
Il eut quand vint le Mai le coeur libre et joyeux
Et les roses d'hymen printanisaient ses yeux.

III
Mais en Juin, le sonneur devint sombre soudain ;
Au soir il s'en allait souvent dans son jardin,
Pensif, se promenant plein de peine et de doute...
On eût dit son convoi d'amour longeant la route.
Il confiait à l'astre un peu de tout son mal
Le plus noir que l'envol noir du corbeau vespéral.
Les soucis, la douleur terrassaient son courage,
Il se sentait gonfler de sourde et lente rage.
En Juin ce fut pourquoi, comme cela soudain,
Il descendait au soir tout seul dans son jardin.

IV
Le sonneur en Octobre eut son amour fané
Et s'en alla l'oeil fou comme halluciné.
Son épouse adultère ah ! la folle hirondelle !
Avait fui à son âtre, au serment infidèle,
Encercueillant l'amour du vieil Angel Valdor
Qui marchait dans la vie avec un grand coeur de mort,
Lui laissant la maison silencieuse et vide
Pour les bouges lointains de la ville livide.
À l'Octobre funèbre il eut l'amour fané
Et les macabres pas d'un pauvre halluciné.

V
Après avoir sonné l'Angélus quelque soir,
Valdor prit l'escalier qui mène au clocher noir.
Du bruit de ses sabots l'écho se fit des râles
Rauques parmi les tours sous les étoiles pâles.
La basilique avait senti frémir ses flancs
Et ses vitraux étaient comme des yeux sanglants,
Et les portes grinçant sur leurs gonds de ferrailles
Avaient comme un soupçon du glas des funérailles.
Il sonna trois accords brusquement par ce soir
Où le sonneur monta dans l'affreux clocher noir.

VI
Et Novembre est tombé dans les affligements !...
Voici le roman noir que je pleure aux amants...
L'archevêque au matin montant aux tours maudites
Y resta longuement, les forces interdites,
Devant le corps pendant au câble du beffroi,
Devant le corps crispé du pauvre sonneur froid.
Le prêtre prononça des oraisons étranges
Pour cette âme enroulée aux doigts des Mauvais Anges,
Pour le sonneur et pour l'épouse au coeur de fer
Dont Valdor dit les glas aux cloches de l'Enfer !

                   
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